Digital : Maître Kalina Menga évoque la transition numérique de la justice congolaise

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Maître, en quoi la justice a t‑elle pu évoluer avec le monde digital d’aujourd’hui ?

Avant toute chose, la justice qui est rendue sur la base des lois qui la régissent est restée la même quant à son principe philosophique, juridique et moral. Ce qui a changé c’est son mode de fonctionnement avec les outils extraordinaires mis aujourd’hui à sa disposition. L’époque n’est pas si lointaine où la machine à écrire, le papier carbone, les dossiers poussiéreux étaient notre monnaie courante. C’était le milieu du siècle dernier et il n’était pas rare de lire des décisions de justice raturées ou de faire le constat de dossiers ou pièces perdus. C’était bien sûr un frein pour la justice, l’arrivée de l’ordinateur a bouleversé la façon de travailler.


Comment s’est opérée cette mutation ?

J’appartiens à une nouvelle génération qui a eu la chance d’observer cette mutation. Nous avons connu le télégramme, le télex, le fax puis le mail. Nous avons assisté à la démocratisation du téléphone avec le passage du fixe au portable et l’arrivée de nouveaux modes de communication comme Whatsapp. L’ancienne génération d’avocats compensait l’absence de l’informatique par leur propre mémoire, elle avait donc l’expérience de cette mémoire qui la conduisait à l’expertise et, pour finir, à la compétence. Dans les années 90, les paradigmes ont changés. Plus besoin d’avoir eu une longue et fructueuse carrière pour maîtriser les précédents jurisprudentiels. Il suffisait d’avoir accès aux bases de données et savoir les interroger pour compenser partiellement le déficit d’expérience lié à la jeunesse. Nous, nous avions grandi avec les ordinateurs. La nouvelle génération a l’avantage de cette mémoire additionnelle qui fait que la compétence n’est plus forcément synonyme d’ancienneté. Les effets n’en sont que plus visibles avec l’apparition de l’intelligence artificielle.


Cette intelligence artificielle a modifié la façon de travailler ?

A l’évidence oui, en tout cas elle le devrait car la numérisation rend la justice plus accessible, plus rapide, plus efficace et plus transparente. Elle offre la possibilité d’une dématérialisation des procédures civiles et pénales réglant par ailleurs la problématique de l’archivage. Les magistrats et les avocats disposent d’outils performants facilitant les échanges entre professionnels et la mise en état des dossiers devant les juridictions. Les justiciables pourront donc avoir la possibilité de régulariser l’ensemble de leurs formalités en ligne. Les rôles des juridictions ainsi que les décisions de justice pourront être disponibles en ligne sans qu’il soit nécessaire de se déplacer pour les consulter ou les retirer. Avec les LegalTech, nous avons à notre disposition de véritables supermarchés du droit où les professionnels peuvent faire leur marché pour élever la précision et la pertinence de leur prestation. Aujourd’hui, cela peut vous paraitre étrange, mais grâce à ces importantes bases de données fonctionnant avec des algorithmes très pointus, dans certains pays un avocat a la possibilité de prévoir, avec une probabilité allant jusqu’à 80%, une décision de justice.

 

La justice au Congo suit- elle le mouvement ?

Il faut relativiser les choses et se rappeler que l’Internet grand public ne date en France que depuis 1994. Si, aujourd’hui le Congo dispose de la fibre optique, la justice quant à elle n’est pas encore entrée de plain‑pied dans la transition numérique nécessaire. Elle fonctionne encore comme au siècle dernier. C’est, pour y remédier, je pense, une question de vision, de volonté et d’opportunité. Il faut regarder ce qu’il se passe ailleurs, comme au Rwanda, au Sénégal ou au Bénin, voir ce qui marche très bien et l’implémenter chez nous. Mais l’on peut comprendre qu’informatiser la justice puisse ne pas être une priorité face aux autres problèmes, sans doute plus urgents, que doit surmonter notre nation. Quoi qu’il en soit, cela doit être un objectif à court terme, car une justice efficace et accessible est un gage de paix sociale.

 

Il serait donc urgent d’attendre en quelque sorte ?

Pas forcément. Je parlais d’opportunité et paradoxalement la crise sanitaire liée à la Covid‑19 en est une. Elle a été d’une façon certaine un accélérateur pour nous rendre compte qu’il fallait franchir le pas du numérique. On l’a vu avec les conseils de ministres organisés par visio‑conférences par exemple ou encore avec le télétravail. Aujourd’hui, pour des raisons de sécurité sanitaire, des sociétés comme Total ont privilégié de façon quasi exclusive les transmissions documentaires par voie électronique. Les factures imprimées ont laissé progressivement la place aux factures par mail avec signature électronique. L’ère numérique impose sa réalité à laquelle nous nous devons de nous soumettre. Le monde bouge. Et, tôt où tard la justice congolaise devra se mettre au diapason. Le plus tôt sera le mieux.

 

Philippe Edouard

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