Vers la fin des tensions sur l'exécution forcée des décisions de justice dans l'espace Ohada

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Le droit interne congolais prévoit que l’exécution forcée des décisions de justice fait l’objet d’un contrôle prévu par la loi qui donne aux juridictions supérieures le droit d’en assurer la régulation, en en corrigeant, le cas échéant, les dérives.

Toutefois, l’interprétation malheureuse de certaines dispositions du droit communautaire a profondément déséquilibré l’architecture processuelle interne, notamment en dépouillant les juridictions nationales de leur pouvoir de contrôle et de régulation sur l’exécution forcée.

I.- Le contrôle juridictionnel interne de l’exécution forcée des décisions de justice

Le droit interne congolais a prévu deux mécanismes internes de contrôle de l’exécution des décisions de justices : la défense à exécution (A) et le sursis à exécution.

A.- La défense l’exécution (Article 85 et 86 du CPCCAF)

L’exécution provisoire est une décision accessoire prononcée par la juridiction ayant statué en première instance, autorisant la partie qui a eu gain de cause à poursuivre l’exécution du jugement rendu contre son adversaire dès sa signification, en dépit du délai d’appel et de l’appel interjeté, qui normalement, en application des articles 85 et 86 du CPCCAF, suspendent l’exécution. L’exécution provisoire a donc pour objet de neutraliser l’effet suspensif de l’appel. La décision est alors dite exécutoire par provision.

Traditionnellement, on distingue en la matière, l’exécution provisoire légale ou de plein droit, de l’exécution provisoire judiciaire ou ordonnée. Elle est légale ou de plein droit lorsqu’elle est prescrite d’office par la loi, sans que le juge n’ait besoin de la prononcer, alors qu’elle est judiciaire, lorsqu’elle est ordonnée par le juge.

1. En droit interne, l’exécution provisoire judiciaire est encadrée par les articles 58 et 59 du CPCCAF qui en fixent le champ d’application. Il s’agit d’une faculté offerte au juge. Elle est ordonnée par le juge à la demande des parties lorsqu’il la juge nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire. Pour être justifiée et valablement ordonnée, l’exécution provisoire doit entrer dans l’un des trois cas limitativement prévus par l’article 58 du CPCCAF. 

À côté de l’exécution provisoire ordonnée judiciairement, certaines décisions sont dotées par leur nature même du caractère exécutoire[2]. On parle alors de décisions exécutoires par provision. C’est le cas des décisions rendues par le juge des référés au visa de l’article 214 du CPCCAF.

2. En droit communautaire, les choses doivent être nuancées pour éviter la confusion récurrente qui tend à assimiler le régime des décisions du Juge de l’exécution (JEX) institué par l’article 49 de l’AUPSRVE, aux ordonnances de référés, en leur conférant ainsi à tort, le régime juridique des décisions du juges des référés qui elles sont assorties d’office du bénéfice de l’exécution provisoire. 

Ce texte dispose que « La juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui ».

Il institue une nouvelle juridiction [3]qui est le JEX dont la compétence couvre « les mesures d’exécution forcée et les saisies conservatoires ». Ce juge est, selon ce texte, le président de la juridiction « statuant en matière d’urgence », ou le magistrat délégué par lui à cet effet.

Le JEX ne peut être assimilé au juge des référés. Il s’agit d’une juridiction distincte instituée par le droit communautaire. L’étendue des attributions reconnues au JEX excèdent nettement celles du juge des référés. En effet, l’article 49 confie au président du tribunal ou au juge délégué par lui, la plénitude de compétence pour statuer sur toute demande ou tout litige relatif à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire. 

A ce titre, il connaît aussi bien des demandes pouvant être ordonnées par décisions non contradictoires relevant normalement du président de la juridiction compétente statuant comme juge des ordonnances sur requête, que celles dont la solution oblige à juger contradictoirement par voie de référé. Le JEX connaît enfin des demandes relevant du fond, comme c’est le cas pour les demandes de distraction en matière de saisie immobilière. Il est dans son domaine de compétence à la fois juge du provisoire et du principal. Ses décisions n’obéissent pas au même régime juridique que les décisions du juge des référés, spécialement en matière d’exécution provisoire.

La faculté du juge de première instance d’assortir sa décision du bénéfice de l’exécution provisoire n’est pas absolue. Elle est soumise au contrôle du juge supérieur à travers la procédure de défense à exécution prévue par l’article 86 du CPCCAF.

En droit interne, le juge d’appel contrôle si les conditions de l’octroi de cette faculté dérogatoire (demande non contestée, condamnations présentant un caractère alimentaire, titre authentique ou autorité de la chose jugée) sont effectivement réunies. 

Dans le cas contraire, il ordonne la suspension de l’exécution qui a pour effet d’enlever au titre exécutoire par provision son caractère exécutoire. 

Si en droit interne, la question de la suspension de l’exécution provisoire des décisions du juge de première instance ne pose, a priori, aucune difficulté particulière, en droit communautaire la question a longtemps été controversée. 

En effet, on a longtemps considéré que les ordonnances rendues par le JEX étant rendues par le juge des référés, celle‑ci étaient automatiquement alignées sur le régime juridique des ordonnances du juge des référés, lesquelles sont assorties de l’exécution provisoire de plein droit et à ce titre insusceptible de suspension au moyen de la procédure de défense à l’exécution. 

C’était une erreur. 

En effet, au sujet des décisions rendues par le JEX, l’article 49 de l’AUPRSVE dispose que « Sa décision est susceptible d’appel dans un délai de quinze jours à compter de son prononcé. Le délai d’appel comme l’exercice de cette voie de recours n’ont pas un caractère suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du président de la juridiction compétente ». 

Autrement dit, à la différence des ordonnances de référés sur lesquelles le juge n’a aucune prise, ici l’exécution provisoire peut être arrêtée par le juge. Sur la base de ce texte la CCJA a jugé dans un arrêt du 7 juin 2012 « en posant le principe du caractère non suspensif du délai d’appel et de l’exercice de ce recours sous réserve d’une décision contraire du JEX, l’article 49 alinéa 3 de l’AUPSRVE n’interdit en rien l’exercice d’une procédure de défense à exécution prévue par la loi nationale ».

B.- Le sursis à exécution

En droit congolais la décision de la Cour d’appel est rendue en dernier ressort de sorte qu’elle marque la fin du procès. Cette décision est donc immédiatement exécutoire, nonobstant pourvoi, et ce par la volonté expresse du législateur qui rappelle dans l’article 112 que, le pourvoi en cassation n’est suspensif qu’en certaines matières limitativement énumérées.

L’article 113 du CPCCAF siège de la demande de sursis à exécution dispose que «la cour saisie à ces fins par simple requête du demandeur, peut, avant de statuer sur le pourvoi, ordonner qu’il sera sursis à l’exécution de l’arrêt ou du jugement attaqué lorsque cette exécution est susceptible d’entraîner un préjudice irréparable ».

Le sursis à exécution est donc un outil de régulation à la disposition de la Cour suprême pour corriger, le cas échéant, les excès de l’exécution forcée et circonscrire le trouble à l’ordre public économique qui pourrait en résulter. Il en est notamment ainsi, lorsque l’exécution d’une décision de justice est susceptible causer à la partie débitrice un préjudice irréparable alors même que celle‑ci peut être remise en cause en cassation. C’est encore le cas, lorsque le créancier ne justifie pas de sa capacité de remboursement en cas de remise en cause de cette dernière décision, ou enfin lorsqu’il est établi que le créancier n’offre aucune garantie de remboursement des sommes qu’il prétend toucher dans le cadre de l’exécution forcée.

Les procédures de défense à exécution et de sursis à exécution sont donc des mécanismes précieux de contrôles internes de l’exécution forcée tendant à circonscrire les dérives de l’exécution forcée et au‑delà, la foi en la justice. Mais force est de reconnaître que ces verrous ont été mis à mal par la jurisprudence communautaire fondée sur « la nécessaire poursuite » des exécutions déjà entamées.

II.- L’article 29 et le démantèlement des mécanismes de contrôle interne de l’exécution en droit interne

L’article 32 de l’AUPRSVE pose le principe que sauf en matière « d’adjudication des immeubles », l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son  terme  en  vertu d’un titre exécutoire par provision. L’exécution est alors poursuivie aux risques du créancier, à charge pour ce dernier, si  le  titre  est  ultérieurement modifié,  de  réparer  intégralement  le  préjudice  causé  par  cette  exécution  sans  qu’il  y  ait  lieu  de  relever  de  faute  de sa part. L’application de ce texte par la CCJA (A) a entrainé une véritable déstabilisation des mécanismes de contrôle internes de l’exécution forcée (B).

A.- L’arrêt Karnib et ses conséquences

Par arrêt du n°002/2001 du 11 Octobre 2001[4], dans une affaire, époux Karnib contre Société Générale de Banque en Côte d’Ivoire, la CCJA a jugé que « les actes uniformes étant, en vertu de l’article 10 du traité, directement applicables et obligatoires dans les États parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure, les juges du fond ne peuvent, sans violer cette disposition et celle de l’article 32 AUPSRVE, faire application des dispositions nationales pour suspendre l’exécution d’une décision exécutoire par provision.  

Elle ajoute que, l’article 32 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution n’autorise aucune interruption de l’exécution provisoire (excepté pour l’adjudication d’immeuble), sauf au créancier poursuivant, si le titre exécutoire est ultérieurement modifié, à réparer intégralement le préjudice causé par cette exécution sans qu’il y ait lieu de relever une faute de sa part. 

La question qui s’est posée de savoir quelle est la valeur exécutoire des titres assortis d’exécution provisoire, une fois frappés par des décisions de défense à exécution provisoire souvent prononcées par les Premiers Présidents des Cours d’Appel ou de sursis à exécuter prononcés par les juridictions suprêmes nationales à l’occasion d’un pourvoi.

Cette question qui a donné lieu à de nombreuses controverses jurisprudentielles, relève, de l’avis de Mr M. KOUASSI BROU Bertin[5], d’une mauvaise lecture des textes nationaux par la juridiction OHADA et d’une application approximative des législations pertinentes de droit interne. 

En vertu de l’article 32, un titre exécutoire par provision est un titre exécutoire sauf s’il s’agit de l’adjudication des immeubles, et son exécution peut être poursuivie jusqu’à son terme aux risques du créancier …

Au regard de ce texte la CCJA, s’est opposé de manière absolue à toute intervention de premier président de la cour d’appel ou de la cour suprême dans le sens d’une suspension de l’exécution du titre exécutoire par provision ou non.

En effet l’arrêt n°002/2001 du 11 Octobre 2001 précité, la CCJA indique que 

« l’ordonnance du premier président d’une Cour d’Appel qui a pour effet de suspendre l’exécution forcée entamée, sur l’unique fondement des dispositions de droit national, viole l’article 32 de l’AUPRSVE et encourt annulation » de ce chef.

Dans cette lecture, dès lors qu’une exécution est entamée, le juge national devrait être paralysé et laisser l’exécution forcée se poursuivre jusqu’au bout sans pouvoir appliquer son pouvoir de contrôle et de régulation. 

Peu importe que la décision exécutoire par provision ne respecte pas les conditions d’octroi de l’exécution provisoire, ou même que l’exécution d’une décision rendue en dernier ressort puisse causer un préjudice irréparable au débiteur, l’exécution devrait se poursuivre « au risques et périls du créancier ».

Peu importe que les conditions d’octroi de l’exécution provisoire ne soient pas réunies, ou que le créancier ne justifie pas de sa capacité de remboursement, l’exécution doit se poursuivre au détriment du seul débiteur, qui en cas de réformation n’aura aucune garantie de récupérer son argent rendant son préjudice définitivement irréparable.

La règle destinée à l’origine à produire de la sécurité juridique et judiciaire aboutissait exactement à l’inverse. En effet, dans l’esprit du législateur Ohada il s’agissait d’éviter que l’exécution des décisions de justice ne soit freinée par les contingences locales propres à chaque pays. C’est précisément en ce sens que l’article 29 prescrit en outre que « L’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des décisions et des autres titres exécutoires.  La formule exécutoire vaut réquisition directe de la force publique.  La carence ou le refus de l’État de prêter son concours engage sa responsabilité ».

Or, aujourd’hui, la règle a été détournée au point qu’elle est devenue entre les mains de certains acteurs un moyen de se faire payer rapidement en abrégeant les étapes du procès. 

La pratique des greffes étant de de délivrer prioritairement la grosse à la partie qui a gagné le procès, il devenait quasiment impossible de régulariser une défense à exécution, dès lors que celle‑ci est subordonnée à la production d’une expédition de la décision.

Au moment où cette expédition était délivrée à la partie succombante, l’autre partie avait forcément déjà commencé l’exécution. Il en est strictement de même pour le sursis à exécution.

B.- Les dérives consécutives à l’arrêt Karnib

En droit congolais, cette situation a eu pour corolaire une systématisation de l’exécution provisoire. En droit commun on a pu constater que plus de 70% des décisions portant des condamnations pécuniaires sont désormais assorties du bénéfice de l’exécution provisoire, et souvent sans que les conditions de l’octroi du bénéfice à cette faculté dérogatoire prévues par l’article 58 du CPCCAF ne soient réunies. Par ailleurs on assiste à une inflation des dommages et intérêts sans rapports avec la réalité du préjudice.

En droit communautaire, il sied de rappeler que les décisions du JEX sont assorties du bénéfice de l’exécution provisoire, sauf si le juge en décide autrement en motivant sa décision. Il s’ensuit qu’aujourd’hui 100% des décisions du JEX sont assorties du bénéfice de l’exécution provisoire, soit parce que ce juge ne  prend jamais le temps de motiver un refus de l’exécution provisoire, soit parce que par une méprise récurrente, le JEX qui mentionne toujours sur ses décisions « statuant en matière de référé », au lieu d’indiquer « statuant en matière d’exécution », assimile ainsi sa décision à une ordonnance de référé à laquelle est attachée de plein droit le bénéfice de l’exécution provisoire. 

Il s’ensuit que, compte tenu de la doctrine de la CCJA, ces décisions seront systématiquement exécutées avant que le juge d’appel n’ait eu la possibilité de se prononcer. Et, l’expérience du ressort de Pointe‑Noire démontre qu’en cas de réformation, le créancier qui a exécuté la décision à ses risques et périls est toujours dans l’impossibilité de rembourser les sommes encaissées par provision, ce qui ouvre systématiquement de nouveaux contentieux de répétition de l’indu.

Cette situation conduit à vider le principe du double degré de juridiction de toute substance. 

En réalité, c’est tout l’équilibre de l’architecture processuelle interne qui est ainsi déstabilisé par la systématisation de l’exécution forcée par provision et la neutralisation des outils de la régulation interne.  

C.- Le rétablissement de la légalité face aux dérives de la dérégulation de l’exécution forcée

Le démantèlement des garde‑fous de l’exécution forcée à pour conséquence de troubler considérablement l’ordre public. En effet, la multiplication des condamnations de plus en plus importantes voire parfois fantaisistes en première instance et l’impossibilité d’en arrêter l’exécution d’une part, et d’en récupérer le fruit en cas de réformation d’autre part, ont entrainés des situations qui ont conduit le juge national à rechercher des ressources légales pour rétablir la légalité, et au‑delà l’équilibre de l’architecture processuelle interne.

En effet, face à à la désarticulation des contrôles internes de l’exécution forcée, les conséquences graves irréversibles des préjudices pouvant en résulter, la Cour suprême du Congo a développé une doctrine tendant à rétablir le contrôle de l’exécution forcée jusqu’à l’épuisement des voies de recours en s’appuyant sur l’article 33 de la loi n° 17‑99 du 15 avril 1999 portant fonctionnement de la Cour suprême.

Ce texte qui fixe les missions du procureur général près la Cour suprême dispose qu’il « veille à l’application de la loi à travers le contrôle qu’il exerce (…).

Il peut prendre ou faire prendre toutes les mesures provisoires indispensables au rétablissement de la réalité ; ces mesures demeurent en vigueur jusqu’à la décision de la juridiction compétente ».

Sur cette base, le Procureur général suspend exceptionnellement l’exécution lorsque l’exécution forcée de la décision est de nature à emporter une rupture manifeste de la légalité. C’est précisément le cas lorsqu’il est évident que compte tenu de l’importance des sommes en jeu, il est manifeste que, les conditions de l’octroi de l’exécution provisoire prévue à l’article 58 du CPCCAF n’ont pas été respectées sans que la Cour d’appel n’ait la possibilité dans son rôle régulateur de corriger ces errements.

Il en est également ainsi, lorsque pour une exécution porte sur des sommes extrêmement importantes les juridictions supérieures n’ont pas la possibilité d’exercer leurs pouvoirs de contrôle et de régulation, alors même que le créancier n’offre aucune garantie de remboursement en cas de réformation de la décision, ce qui est de nature à entrainer un préjudice irréparable.

Rétablir la légalité consiste pour le Parquet général de la Cour Suprême, pour des situations de rupture manifeste de la légalité, de redonner au juge interne, les moyens de contrôler à nouveau les excès de l’exécution forcée.

Le Parquet Général suprême rétablit en quelque sorte à partir le l’article 33 de la loi n° 17‑99 du 15 avril 1999 sur le fonctionnement de la Cour Suprême, les pouvoirs que l’article 32 a retiré au juge.

La construction peut être discutable sur le plan conceptuel, mais elle est nécessaire rétablir l’équilibre processuel interne rompu par l’article 32 de l’AUPRSVE. Elle est indispensable dans un contexte où la dérégulation de l’exécution forcée entraine des excès qui menacent l’ordre public économique.

D.- L’arrêt Total contre Erto du 24 juin 2021 ou le changement de doctrine de la CCJA 

Les mécanismes de contrôle interne de l’exécution forcée, La Défense à exécution ou le sursis à exécution tendent soit, à retirer le bénéfice de l’exécution provisoire ce qui a pour effet, de rétablir le caractère suspensif de l’appel, soit de surseoir à l’exécution d’une décision exécutoire en raison des conséquences qui pourraient en résulter. Ces questions qui ne sont pas réglées par le droit Ohada mais par les droits nationaux des états parties.

La CCJA vient d’amorcer, à travers l’arrêt Total E&P contre ERTO du 24 juin 2021, un revirement qui est de nature à rétablir l’équilibre. En effet, dans cette décision la haute cour communautaire indique dans ses motifs que :

« selon les alinéas 3et 4 de l’article 14 du traité, saisi par la voie du recours en « cassation, la cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions « d’appel des états parties dans toutes les affaires soulevant des questions « relatives à l’application des Actinies forme et des règlements prévues au « présent traité à l’exception des décisions en appliquant des sanctions « pénales. Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non « susceptibles d’appel rendues par toutes les juridictions des états parties « dans les mêmes contentieux… » ;

« Que ces dispositions qui excluent l’exercice par la Cour Commune de Justice « et d’arbitrage de sa compétence relative au contentieux des actes uniformes « lorsque la décision querellée prononce une sanction (…) sont complété par « l’article 16 du traité selon lequel, les recours en cassation contre les « décisions relatives aux procédures d’exécution non régi par le droit « Ohada relève de la compétence et juridiction nationale ;

« Attendu qu’il est constant qu’en l’espèce que la Cour d’Appel de Pointe‑Noire « a été saisi d’une requête aux fins de défense exécution provisoire de « l’ordonnance du juge des urgences ayant condamné la demanderesse aux « causes de la saisie pratiquée entre ses mains et n’a répondu qu’à cette « question ;

« Bien que, en lien avec les voies d’exécution régi par un acte « uniforme, cet arrêt de la Cour d’Appel de Pointe‑Noire a été rendue « relativement une procédure d’exécution au sens de l’article 16 du « susvisé ;

« Il y a lieu pour la cour de séant de le relever d’office et par voie de « conséquences de se déclarer incompétente » ;

Cette décision correspond à un véritable changement de paradigme. Jusque là la position de CCJA construite à partir de l’arrêt Karnib était que « la décision d’un premier président d’une Cour d’Appel qui a pour effet de suspendre l’exécution forcée entamée, sur l’unique fondement des dispositions de droit national, viole l’article 32 de l’AUPRSVE et encourt annulation ».

Sur cette base, la CCJA allait jusqu’à annuler les décisions des cours s suprêmes nationales aux motifs que le litige impliquait l’application du droit Ohada.

La Cour suprême du Congo a réfuté cette position estimant qu’elle résultait. d’une méconnaissance inadmissible du droit interne du Congo spécialement des matières non transférées par le traité. Et, selon la Cour suprême, sont des moyens d’ordre public interne relevant du contrôle juridictionnel des juridictions nationales de fond, ne pouvant à ce titre être « abandonnée » à la prétendue supranationalité de la CCJA, les questions relatives à la compétence des juridictions, les conditions de recevabilité des recours autres que le pourvoi, ceux portant sur la question de savoir si une décision rendue est immédiatement susceptible d’appel.

Désormais, la CCJA sur le fondement de l’article 16 du traité décide de se déclarer incompétente dès lors que, « les décisions soumises à sa censure sont relatives aux procédures d’exécution non régies par le droit Ohada» peu important que la dite décision soit en lien avec un acte uniforme. 

Sont précisément des procédures d’exécution non régies par l’Ohada, la défense à exécution et le sursis à exécution qui sont régies par des dispositions de droit internes échappent désormais à la compétence de la CCJA en application de l’article 16. C’est une véritable révolution !

L’arrêt Erto enterre l’arrêt Karnib et rétablit les frontières entre les droits nationaux et le droit Ohada en matière d’exécution forcée.  

Du même coup par une interprétation intelligente de l’article 16 du traité la CCJA restaure les mécanismes de contrôle juridictionnel interne en matière d’exécution forcée. Après ce revirement jurisprudentiel, la Cour suprême du Congo n’aurait plus besoin de dégainer l’article 33 de la loi n° 17‑99 du 15 avril 1999  pour rétablir sa souveraineté sur le contrôle juridictionnel interne interne de l’exécution forcée.

CONCLUSION :

A l’heure où se profile une réforme de l’acte uniforme sur les voies d’exécution, il est souhaitable que les frontières entre les droits nationaux et le droit Ohada soit consacrée par une clarification législative qui pourrait passer par une réforme de l’article 32 qui pourrait préciser qu’un titre exécutoire ne conserve ce statut qu’aussi longtemps qu’aucune autre décision ne vienne l’en dépouiller, soit par une défense à exécution, soit par un sursis à statuer. Cette réforme aurait le mérite de préserver l’équilibre processuel des droits nationaux et d’éviter les tensions entre les juridictions nationales et la CCJA.


[1] Voir Lettre circulaire 252/PJ/CS/PG‑20 du 25 août 2020

[2] CS 7.11.2002, Aff. Rasic International contre Jamart

[3] Guy‑Auguste Likillimba, Le juge du contentieux de l’exécution en droit de l’Ohada, Bulletin de droit économique, Université de Laval

[4]. François Ipanda, L’arrêt époux Karnib : une révolution ? Question d’interprétation.

[5] Kouassi Brou Berti, Ingénierie pédagogique, Voies d’exécution, Sûretés du 16 au 20 juillet 2012

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